Original article

Étude de l'impact médico-économique d'un projet de télémédecine au Mali

DOI: https://doi.org/10.4414/smi.29.00276
Publication Date: 27.09.2013

Thévoz Laurence, Pécoul David

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Abstract

In the struggle against the medical desertification of rural areas, telemedicine proves itself to be a promising tool. Its impact, as described by numerous studies conducted in Nordic countries, lacks proof in its implementation in developing countries. EQUI-ResHus is a hybrid electrocardiography and echography tele-expertise project in Mali, enabled by an internet connection implemented in four centres countrywide. This study aims to investigate its medico-economic impact through the use of surveys filled in by patients and medical professionals alike.

The results show a higher local expertise when conducting echographies but a sizeable use of external consultations when interpreting electrocardiographies. Demands of expertise vary greatly between the different sites. The medical centres showed a higher rate of visits, proving the technology's mass appeal. Even though the exam's utility has been proven, tele-expertise has had a mitigated impact on diagnostics and subsequent follow-up of the patient. The economic benefits to patients are clear in the form of savings accrued from not having to travel and stay in the capital, Bamako. The additional costs brought about by tele-medicine, such as the internet connection, are cushioned by the patient saving money as a result of conducting monthly one or two medical exams at the aforementioned sites.

Résumé

Dans la lutte contre la désertification médicale de zones rurales, la télémédecine se montre un outil prometteur. Son impact, évalué par diverses études dans des pays du Nord, manque par contre de preuves pour son déploiement dans des pays en voie de développement.

EQUI-ResHus est un projet d'électrocardiographie et d'échographie avec télé-expertise au Mali, via une connexion internet, implanté dans quatre centres de santé périphériques. Cette étude vise à étudier son impact médico-économique, par des formulaires remplis par les patients et les professionnels de la santé.

Les demandes d'expertise varient fortement entre les sites mais démontrent dans l'ensemble une aisance bien supérieure avec l'échographie. Les sites ont vu leur fréquentation augmenter, prouvant l'attrait de ces nouvelles technologies pour les populations. Enfin, même si l'utilité de l'examen a été relevée, la télé-expertise n'a eu qu'un effet jugé moyen sur le diagnostic et la prise en charge. Les économies pour les patients, en évitant un trajet vers la capitale, sont majeures, essentiellement grâce aux coûts de logement et de transport réduits. Les coûts supplémentaires liés à la télémédecine, soit le prix de la connexion internet, sont couverts par l'économie individuelle réalisée par les patients, avec un seul ou deux examens effectués par mois et par site.

Introduction

Un enjeu majeur de santé publique est la réponse à la désertification médicale des zones rurales. La télémédecine laisse entrevoir des solutions innovantes pour diminuer les inégalités des régions touchées dans les pays du Nord [1, 2], mais peu de projets sont implantés dans les pays en voie de développement [3], alors que ces derniers sont sensiblement frappés par le manque de spécialistes dans les zones éloignées.

Même si le potentiel des applications de télémédecine semble prometteur, peu d'études de qualité mesurent précisément l'impact de ces outils [4]. Les résultats paraissent optimistes, mais restent rares et parfois peu fiables [5]. Les limites à une bonne évaluation sont souvent liées au manque de généralisation des projets très variés, avec des échantillons faibles, un manque de résultats concrets, peu de mesures de l'impact à long terme et à l'absence d'une méthode d'évaluation uniformisée [6‒11].

L'Organisation Mondiale de la Santé a souligné le potentiel de la télémédecine en 2005 déjà [12], puis le comité régional africain a renforcé sa position en 2010 en adoptant une nouvelle résolution: «Solutions for e-health in the African region: current state and perspective» [13], et la question de l'évaluation de ces projets a été abordée en 2011 par une initiative «Call to Action on Global eHealth Evaluation»[14]. Malgré tout, la quasi-totalité des évaluations est réalisée dans les pays du Nord. Il manque des études et des données dans les pays en voie de développement, qui sont pourtant très demandeurs [15].

C'est pourquoi ce travail se base sur un projet au Mali, nommé EQUI-ResHus, pour «Accès Equitables aux Ressources Humaines en santé».Lancé en 2010, il a pour objectif principal de «comprendre comment les technologies de l'information et de la communication peuvent contribuer à une meilleure distribution des professionnels de la santé à l'intérieur des pays d'Afrique francophone» [16]. Ce projet fonctionne sur le «Réseau en Afrique Francophone pour la Télémédecine» (RAFT) [17, 18]. Différents programmes ont été mis sur pied (19): télé-enseignement, simulateur informatique pour l'aide au raisonnement clinique en situation d'isolement, télé-diabétologie et télé-expertise. Ce travail porte uniquement sur ce dernier programme. Quatre centres de santé maliens ont ainsi été équipés d'appareils à échographie (US) et à électrocardiogramme (ECG), avec la possibilité de à l'avis d'un expert via une connexion internet.

Après plus de trois ans de projet, le but de ce travail est de mesurer l'impact du programme. Malgré les difficultés liées à un projet dans le contexte d'un pays en voie de développement, l'objectif est de démontrer qu'il est possible d'évaluer les potentiels bénéfices d'un projet de télémédecine en termes médico-économiques; l'impact sur les ressources humaines ayant déjà été analysé [20, 21]. L'hypothèse de départ est la suivante: grâce à une prise en charge médicale plus approfondie en périphérie et la possibilité de recourir à un expert à distance, on évite au patient un déplacement long, coûteux, inconfortable et retardant sa prise en charge. Ainsi, on s'attend à pouvoir rendre compte d'un bénéfice économique et médical en faveur des patients, du confort de la proximité et de l'attrait d'un centre de santé mieux équipé pour les populations, d'un intérêt professionnel supplémentaire pour les travailleurs de la santé isolés et de modifications positives au niveau des ressources humaines.

La mise en perspective de ces bénéfices avec les coûts supplémentaires engendrés par l'installation des équipements en périphérie, la formation à la réalisation de ces examens et à la communication à distance, nous permet alors d'obtenir une vision globale de l'impact du projet et des arguments justifiant le déploiement de ces outils. Cette étude vise donc à étudier la véracité de ces différentes hypothèses et à mettre en lumière d'éventuels autres effets du projet EQUI-RhesHUs.

Matériel et méthode

De simples registres remplis manuellement, puis photographiés, étaient auparavant la seule preuve de l'activité du projet. Les contraintes d'une étude à distance, dans un pays en voie de développement avec un suivi médical et des registres lacunaires, d'autant plus dans un contexte d'instabilité politique rendant tout déplacement sur place impossible, ont orienté la méthode d'analyse vers la création de questionnaires reprenant les indicateurs choisis. Ces formulaires ont été modifiés, approuvés et expliqués aux professionnels concernés par l'équipe malienne avant leur distribution.

Pour l'aspect médical, la première version (annexes document 1) a dû être corrigée après plusieurs mois d'utilisation, en raison des nombreuses plages de textes libres qu'elle comprenait et qui rendaient son remplissage et son analyse trop fastidieux. La deuxième version (annexes document 2), contenait de préférence des cases à cocher sur une échelle de Likert (de 1 à 5 avec «pas du tout», «un peu», «moyennement», «beaucoup» et «complètement»). Ce questionnaire a été rempli par les professionnels qui ont pratiqué l'examen, US ou ECG, sur une durée de cinq mois.

Quant à la partie économique, le questionnaire (annexes document 3) a été rempli par un jeune médecin malien dans le cadre de sa thèse. Il s'est adressé aux patients ayant effectué un examen dans les centres du projet par le passé, joignables au moment de son passage. Ces patients ne correspondent pas exactement à tous ceux ayant participé au formulaire médical, étant donné la grande difficulté à mettre en place un suivi exhaustif.

Comme différentes personnes ont rempli les formulaires médicaux et dans le but d'éviter un biais dans le choix des cases de l'échelle de Likert, deux questions à textes libres ont été ajoutées, permettant de comparer les méthodes de cotation.

Les résultats des formulaires ont été analysés avec SPSS 21.0.

Des sites contrôle ont été choisis pour leur correspondance de taille et de localisation géographique avec les sites du projet, afin d'y comparer certaines données.

Présentation du projet

Le projet Equi-ResHus se déroule dans quatre centres de santé de référence (CSRéf) maliens: Djenné, Kolokani, Dioila et Bankass (fig. 1). Sur la base de la pyramide du système de santé malien (fig. 2), les centres de référence représentent le 2ème échelon sanitaire. En théorie, les centres de santé communautaire (CSCom) constituent les établissements de premier contact pour tous les patients. De là, un patient peut être référé dans un centre de niveau supérieur selon les soins requis.

Le projet consistait à équiper ces centres d'une connexion internet, d'un ordinateur portable ainsi que d'appareils à électrocardiogramme 12 dérivations et d'un kit d'échographie portable avec deux sondes (4MHz et 10MHz). Un médecin et une sage-femme par centre ont été formés à la pratique et à l'interprétation de ces examens lors de formation. De plus, un programme de formation continue est diffusé via le réseau internet. L'expertise auprès d'un spécialiste de l'ECG ou de l'US à Bamako1, la capitale, via la liaison internet, était disponible quand les professionnels la jugeaient nécessaire.

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Figure 1

Répartition géographique des centres du projet et des centres contrôle.

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Figure 2

Pyramide du système de santé malien.

Résultats

Questionnaire médical

Les questionnaires médicaux ont été remplis par 215 patients. Les échographies ont représenté 66% de ces examens et sont supérieures au nombre d'ECG dans tous les sites (annexes tableau 1). En moyenne 2.54 échographies et 1.3 ECG ont été effectués chaque semaine, avec de fortes variations du taux d'activité selon les sites (annexes tableau 2). Quant à l'attrait des centres avec ces nouvelles technologies, 69% des patients sont venus spécifiquement car un échographe était disponible contre seulement 48% pour l'ECG (annexes tableaux 3 et 4) (p<0.05). Les motifs de consultation sont reportés par domaine dans la figure 3.

Les patients ayant effectué une échographie étaient âgés en moyenne de 35 ans avec 70% de femmes, contre 50 ans avec 57% d'hommes pour l'ECG (annexes tableaux 5 à 7). Ils ont parcouru en moyenne de 7 à 41km, avec de fortes variations entre les sites (p<0.05, sauf à Djenné) (annexes tableau 8).

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Figure 3

Motifs de consultations pour l'US et l'ECG.

Sur 142 échographies effectuées, 42 demandes de télé-expertise ont été faites, contre 63 pour 73 ECG, avec de fortes variations entre les sites, illustrées dans la figure 4 (p<0.05) (annexes tableaux 9 et 10). Les temps moyens de réponse ont été de 42 heures pour les échographies et 50 heures pour les ECG (p>0.05) (annexes tableau 11).

Quant à l'impact sur la fréquentation des centres, il a été comparé avec des sites contrôle et illustré dans la figure 5. Le site de Youwarou, témoin de Djenné, n'a pu transmettre aucune donnée car celui-ci se situe dans des zones occupées et le personnel a quitté les lieux (annexes tableau 12).

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Figure 4

Demande de télé-expertise pour l'US et l'ECG.

Quatre points ont été évalués par une échelle de Likert. L'utilité de l'examen pour la pose du diagnostic a été évaluée en moyenne à 3.97 pour l'échographie et à 3.77 pour l'ECG (p <0.05), l'apport de la télé-expertise pour la modification diagnostic respectivement à 2.73 et 3.05 (p >0.05) et l'impact de la télé-expertise sur la modification de la prise en charge s'est élevé à 2.88 pour l'échographie et à 3.08 pour l'ECG (p >0.05). Finalement, l'évaluation de la correspondance de la prise en charge effective avec celle recommandée se chiffrait en moyenne à 4.24 pour l'échographie et à 3.89 pour l'ECG (p <0.05). Ces données sont illustrées dans la figure 6 (annexes tableau 13).

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Figure 5

Evolution du nombre de consultations annuelles entre 2009 et 2012 entre les sites du projet et des sites contrôle.

Questionnaire économique

Les questionnaires économiques ont été remplis par 150 patients ayant effectué un examen par le passé: les échographies représentaient 57% des examens (annexes tableau 14). Les patients ayant effectué une échographie étaient âgés en moyenne de 28 ans comptant 88% femmes, contre 56 ans avec 53% d'hommes pour l'ECG (p<0.05) (annexes tableaux 15 à 17).

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Figure 6

Utilité de l'examen et impact de la télé-expertise pour l'US et l'ECG.

La situation de patients ayant effectué un examen dans un des centres a été comparé avec celle des patients ayant dû se déplacer pour pratiquer le même examen: 39% des patients de l'US avaient déjà effectué ce même examen ailleurs et 36% pour l'ECG (annexes tableaux 18 et 19) (p>0.05). Parmi ceux-ci, 54% étaient partis à Bamako pour l'échographie contre 78% pour l'ECG, le reste se répartissant dans d'autres structures (annexes tableau 20).

Pour la suite, seuls les patients ayant effectué leur examen à Bamako ont été pris en compte. Le nombre de jours moyen consacrés à la réalisation de l'examen a été comparé dans la figure 7 (annexes tableaux 21 à 24).

Quant au salaire, 54% des patients ayant effectué une échographie et 55% un ECG ont déclaré percevoir un salaire. Le salaire journalier moyen des patients de l'US était de 2'522 CFA contre 2'998 CFA pour l'ECG (p>0.05 sauf à Djenné) (annexes tableau 25).

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Figure 7

Nombre de jours moyens consacrés pour effectuer l'US ou l'ECG dans les sites du projet ou à Bamako.

Un prix moyen total par site pour bénéficier d'un US ou d'un ECG a été calculé, comprenant le prix de la consultation, de l'examen, du transport et les éventuels frais de logement. Le même total a été effectué pour les patients étant partis à Bamako depuis chacun des sites, afin de déduire une différence de coût. La figure 8 et le tableau 1 présentent ces données (annexes tableaux 26 à 30).

Tableau 1

Comparaison du prix global moyen de l’examen entre les sites du projet et Bamako.
 Patients de BankassPatients de DioilaPatients de DjennéPatients de Kolokani
 Sur placeBamakoSur placeBamakoSur placeBamakoSur placeBamako
US        
Prix de l’examen3’1548’6678’00010’5835’0878’4005’00010’250
Prix de la consultation1’0382’8331’0001’7501’3911’6002’0001’250
Frais de transport62321’3331’1096’66756515’0004645’000
Frais de logement 8’833 3’600 5’250 2’500
TOTAL4’81541’66610’10922’6007’04330’2507’46419’000
Différence en faveur
de l’examen sur place
36’85112’49123’20711’536
ECG        
Prix de l’examen2’0004’3334’92312’0004’0347’8003’0006’000
Prix de la consultation8642’0001’0001’7501’0001’7502’0002’000
Frais de transport1’13620’6671’0005’20066214’7501’0004’300
Frais de logement2’13615’0003086’8001’76013’1252’5458’600
         
TOTAL6’13642’0007’23125’7507’45637’4258’54520’900
Différence en faveur
de l’examen sur place
35’86418’51929’96912’355

Discussion

Formulaire médical

A partir des formulaires médicaux, on distingue deux populations différentes: l'une, plus jeune, majoritairement féminine, venue effectuer des US, puis l'autre, plus âgée, avec une distribution de sexe plus égale, venue pour l'ECG. Ces populations distinctes présentent des motifs de consultation, des besoins et des conditions de séjour différentes, justifiant alors la mise en perspective distincte des deux examens.

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Figure 8

Prix global moyen de l'examen entre les sites du projet et Bamako.

Démontrer l'utilité de ces examens pour une prise en charge dans un site reculé n'était pas un objectif, cela ayant déjà été confirmé par d'autres études [22‒24], mais cette hypothèse est un prérequis pour le bienfondé du projet. Les résultats montrent que les examens ont beaucoup aidé au diagnostic, d'autant plus pour l'US.

La différence entre les deux examens se traduit notamment par le recours à l'expertise: les ECG ont fait l'objet de plus de demandes, témoin de la plus grande difficulté à les interpréter. Quant aux US, 54% d'entre elles concernent la gynécologie-obstétrique. Le personnel de santé s'est montré très autonome dans la gestion de ces cas, avec un recours à l'expertise uniquement dans des situations où l'expertise a en effet révélé une pathologie particulière.

L'ECG et l'US semblaient présenter deux approches différentes d'accès aux soins: pour le premier, l'examen était une occasion d'avoir accès à un cardiologue et l'hypothèse était alors que la prise en charge serait largement influencée par l'expertise. Pour l'US, où l'expert est un radiologue, l'hypothèse était que le diagnostic se verrait fortement modifié par l'expertise. Pourtant, des résultats similaires pour les deux examens ont été obtenus, avec une influence de l'expertise sur le diagnostic et la prise en charge considérée comme moyenne. Une explication peut être celle d'une courbe d'apprentissage rapide de la part des professionnels formés. En effet, entre 2 et 3 ans après leur formation, le personnel se montre très à l'aise, et donc plus autonome, avec une influence de l'expertise forcément réduite. Le cas de Bankass le confirme, avec une seule demande d'expertise durant la période d'étude, bien que l'approvisionnement en courant électrique difficile dans ce centre puisse également expliquer ce constat. Les résultats des connaissances avant et après la formation initiale suivie par le personnel [19] vont dans ce sens: le total des points des candidats lors de la 1ère séance sur l'US est passé de 40/80 à 71/80, et de 12.75/80 à 60/80 pour l'ECG. Le recours à la télé-expertise est très utile dans un premier temps afin d'accompagner le personnel novice, mais qu'ensuite l'expérience et les connaissances suffisent pour la pratique courante, dans les limites de certains cas, notamment pour l'ECG.

Ces résultats doivent toutefois être considérés dans leur contexte. En effet, les formulaires ont été remplis par des professionnels différents dans chaque site, avec des interprétations de l'échelle qui leur était propres. Le texte libre avait pour but d'atténuer ce phénomène en permettant d'analyser plus objectivement la cotation. De nombreuses imprécisions ont été constatées, avec des diagnostics infirmés par la télé-expertise mais où l'impact sur le diagnostic était apprécié comme «pas du tout» ou d'autres diagnostics clairement modifiés mais avec une cotation d'impact sur le diagnostic comme «moyennement».

Mesurer la correspondance entre la prise en charge effective et celle recommandée a son importance car elle détermine le sens du projet: il ne servirait à rien de mettre à disposition ces outils de télécommunication si les conseils ne pouvaient pas être appliqués à distance, faute de moyens financiers, techniques ou logistiques. Les résultats montrent une concordance satisfaisante, légèrement inférieure pour l'ECG, que l'on pourrait expliquer par l'indisponibilité de certains médicaments dans des zones isolées.

Quant à l'attrait de ces nouvelles technologies, il semble s'être traduit par l'augmentation de la fréquentation de ces centres, comparée aux centres contrôles. La prudence est cependant de mise avec ces résultats, car les chiffres des centres contrôles sont parvenus d'établissements qui ne coopèrent pas habituellement, la fiabilité de leurs données n'étant donc pas assurée. Pour expliquer la fréquentation en baisse de Dioila, il faut noter qu'un nouveau CSCom y a ouvert ses portes, réduisant forcément les consultations du CSRéF. De nombreuses patientes sont venues spécifiquement car un échographe était disponible, confirmant l'attrait de cet examen pour un centre de santé. C'est à Kolokani que l'on retrouve le moins de patients étant venus spécifiquement, ce qui peut s'expliquer par la proximité de Bamako et la facilité d'accès à d'autres ressources médicales.

Outre l'aspect médico-économique, équiper des centres périphériques d'outils de télécommunication est un moyen pour rehausser leur intérêt aux yeux du personnel. Cet impact a été analysé, au sein du même projet, dans une autre étude [20]: «Les avantages perçus sont nombreux, les plus importants concernant l'accès à la formation continue et la possibilité d'échanger avec d'autres centres de santé. Il semblerait que la télésanté soit vue comme un moyen de diminuer l'isolement de ces professionnels et de favoriser le réseautage (…) Les professionnels sont d'avantage persuadés de l'influence positive de la télésanté sur le recrutement que sur la rétention.»

Formulaire économique

Quant à l'aspect économique, deux points de vue ont été considérés: tout d'abord celui des patients, avec l'économie individuelle réalisée en restant sur place, puis celui des investisseurs, en analysant les coûts additionnels engendrés par un projet avec télémédecine plutôt qu'un projet similaire, mais sans connexion à distance.

Deux hypothèses ont été formulées afin de simplifier l'analyse. D'une part, il a été considéré que chaque patient, à qui l'on aurait conseillé de pratiquer un examen, qui n'était pas disponible dans le centre de santé, se serait effectivement déplacé pour le faire. Ensuite, il a été admis que tous ces patients se seraient déplacés à Bamako. Pourtant, d'autres centres de santé sont plus proches des villes lointaines comme Djenné et Bankass, mais cette hypothèse est considérée comme correcte vu que la majorité des patients de chaque centre sont effectivement partis à Bamako.

Au niveau des frais individuels, les résultats sont clairs: plus les patients habitent loin de Bamako, plus l'économie est importante. Même si la consultation et l'examen sont plus chers à Bamako, sauf pour les patients de Kolokani, c'est essentiellement au niveau des frais de transport et de logement que se fait la différence. Ce sont donc les patients de Bankass et de Djenné, les deux villes les plus lointaines, qui font le plus d'économie. Les différences de coûts ne sont pas toujours significatives, ce qui s'explique par le très faible effectif utilisé dû à l'appariement des valeurs, nécessaire pour les calculs statistiques. Les patients de l'US ont systématiquement consacré un nombre de jour moyen inférieur que les patients de l'ECG, malgré des valeurs p non significatives dues aux mêmes raisons. Il est à relever qu'aucun patient de l'US n'a eu de frais de séjour, supposant qu'ils ont bénéficié d'un logement chez des proches ou que leur séjour suffisamment court n'a pas engendré de frais, renforçant la différence entre les deux populations mentionnées précédemment.

Le prix total calculé ne tient pas compte des coûts indirects tels que les journées de travail perdues et le nombre d'accompagnants. Il est difficile de se baser avec certitude sur le salaire journalier annoncé par les patients, nombre d'entre eux participant à un marché hebdomadaire avec un salaire qui n'est donc pas quotidien. Même sans considérer les coûts indirects, les examens sur place représentent une économie financière majeure.

Les investissements additionnels pour le déploiement de la télémédecine sont les frais d'installation et d'utilisation mensuelle d'une connexion internet. Un site utilise actuellement une connexion satellite alors que les autres se tournent vers les clés 3G. Les calculs ont été basés sur cet outil, qui deviendra à court terme le plus courant. Une clé à l'achat coûte 25'000 CFA pièce (50 USD) et les frais de connexion mensuels à 25'000 CFA (50 USD). Une seule clé par site suffit pour les activités de télé-expertise. Ainsi, un seul examen mensuel à Bankass, Djenné et Kolokani couvre largement les frais de connexion et environ deux pour Dioila. Selon les résultats du nombre d'examens effectués par semaine dans chaque centre, ils présentent tous un taux d'activité supérieur. Comme les examens sont systématiquement plus chers à Bamako, augmenter leur prix en périphérie permettrait de répartir les frais de connexion et de réduire les coûts additionnels liés à la télémédecine.

La distance et la facilité d'accès à Bamako est un facteur majeur dans plusieurs résultats: l'attrait par la disponibilité de ces techniques, le coût total de la réalisation d'un examen, le nombre de jours consacrés … Cela se traduit à Kolokani, le plus proche de Bamako, contrairement à Djenné et Bankass qui sont les plus éloignés, et à Dioila qui est à égale distance de Bamako par rapport à Kolokani, mais qui ne se situe pas directement sur un grand axe routier.

En dehors de l'impact médico-économique, d'autres avantages n'ont pas pu être mesurés objectivement. En effet, la qualité de vie gagnée en évitant de voyager et l'impact émotionnel réduit grâce à la diminution du temps d'attente pour accéder à une prise en charge médicale sont des facteurs importants, mais difficilement chiffrables.

Conclusion

Les résultats démontrent l'utilité des examens en milieu isolé, tout en rendant compte d'un impact de la télé-expertise jugé moyen. Ce constat doit être considéré dans la perspective d'un projet de longue durée, où les professionnels ont appris à se familiariser avec ces techniques, rendant le recours à l'expertise moins fréquent, et donc moins utile. Les ECG et les US ne relèvent cependant pas de la même difficulté d'interprétation, avec les premiers nécessitant plus de soutien. L'impact économique est quant à lui important, notamment grâce aux frais de séjour et de logement réduits, avec un séjour plus court, malgré des différences parfois non significatives dans les résultats dû à des effectifs trop faibles. La distance à Bamako est un facteur d'influence majeur sur ces économies. Un faible nombre d'examens mensuels suffit, par comparaison avec l'économie faite par les patients, à couvrir les frais de la connexion internet. Conclure que l'outil d'imagerie a plus d'impact que la télémédecine serait pourtant incomplet, ignorant d'autres utilisations du réseau: formation continue à distance, désenclavement des centres isolés, intérêt majoré des professionnels pour la périphérie …

Cette étude permet, malgré des conditions et délais restreints, de proposer une évaluation initiale de l'impact d'un projet de télémédecine, tout en insistant sur les enjeux d'une généralisation des méthodes d'évaluation.

Contributions personnelles

Les deux auteurs ont contribué à part égale au travail. Dr Georges Bediang a apporté son aide pour l'analyse statistique des données. Les Dr Cheikh Oumar Bagayoko, Diakaridia Traore et Soumahila Diabate ont coordonné le déploiement sur place de cette étude, étant donné l'impossibilité d'un séjour sur place.

Les annexes sont disponibles sur demande auprès des auteurs.

1 Pour l'ECG : Professeur Mamadou Bocar Diarra (cardiologue); pour l'US: Professeur Mahamadou Touré (radiologue).

Correspondence

Correspondance

Laurence Thévoz

Champs Blancs 72

CH-1279 Chavannes-de-Bogis

lthevoz[at]gmail.com
David Pécoul

david.pecoul[at]gmail.com

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